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12 avril 2017 - Cartographie en Périgord

Les origines de la cartographie en Périgord

Après quelques incidents d’origine électrique dont nous tenons encore à nous excuser, la présentation conférence de Rémy DURRENS sur les origines de la cartographie en Périgord,  du 12 avril 2017, put enfin commencer avec quelque retard.

À des fins de compte rendu, Rémy DURRENS nous a envoyé un texte très complet qui rappellera à tous le contenu de cette conférence qui captiva tous les auditeurs, tant le sujet est intéressant et peu connu de tous. Ce texte étant cependant beaucoup trop important pour ce rappel sur notre site internet, nous l’avons largement réduit à l’essentiel. Il sera néanmoins intégralement rapporté dans l’un (ou plusieurs) de nos prochains comptes rendus d’activité.


LE PERIGORD ET LES CARTES

La cartographie de Jean Tarde

Tous les inventaires cartographiques relatifs au Périgord commencent par les cartes du Chanoine théologal Jean Tarde. Avant lui, nous n’avons aucune vision spécifique ou particulière de cette région. Seules préexistent des cartes plus générales ou des itinéraires du Royaume avec quelques rares éléments.

La cartographie en Périgord commence donc vraiment avec Jean Tarde à la fin du XVIe siècle.

Qu’est ce qui a poussé Tarde, aux fins fonds d’une province reculée, à entamer ce travail très original et très novateur pour l’époque ? Quelles motivations ou influences ont été à l’origine de ces toutes premières oeuvres ? Après avoir tenté de répondre à ces questions, nous pourrons étudier les différentes cartes, versions et copies et voir enfin en profondeur ce qu’elles peuvent nous révéler sur le Périgord et sa perception ainsi que sur les techniques employées, d’autant plus que Jean Tarde, humaniste prolifique, a par ailleurs beaucoup écrit sur ses activités et ses méthodes.

Raisons, contexte et motivations

Les cartes de provinces qui auraient pu influencer Tarde

D’après Dainville, la première description cartographique, à l’échelle d’un diocèse, dessinée en France semble être celle du Mans, conçue par Macé Ogier, un ecclésiastique, en 1539, donc plusieurs décennies avant celle de Tarde. La vallée de la Loire, qui jouit des faveurs de la monarchie et accueille de nombreux séjours royaux semble avoir attiré ou sollicité de nombreux savants et érudits et créé une sorte d’émulation dont la cartographie a bénéficié. En 1545, Henri II charge Jean Jolivet, qui fut prêtre dans le diocèse de Limoges, de dresser plusieurs cartes de Provinces dont celle du Berry. Cette carte, avec celle du Bourbonnais est reprise entre 1570 et 1584 par Nicolas de Nicolay. De proche en proche, il semble évident que ces œuvres ont influencé l’initiative de Jean Fayen pour sa carte du Limousin. En suivant Drapeyron, Dainville assure que « Le Limousin qui pour lors relevait de la mouvance culturelle des pays de la Loire voulut avoir la sienne ». Fayen dressa sa « Totius Lemovici et confinium provinciarum descriptio », qui est une carte des diocèses de Limoges et de Tulle.

Le fait que cette carte soit publiée dans le premier « Théâtre François » de Maurice Bouguereau en1594 a contribué à populariser cette œuvre cartographique, jouissant déjà localement d’une certaine notoriété. Bougereau cherchait d’ailleurs un peu partout de nouveaux talents pour ajouter des cartes à son premier atlas. La publication de la « Cosmographie universelle » de François de Belleforest en 1575 avec son « Vray pourtraict de la ville de Périgueux » a pu aussi tomber facilement entre les mains de Jean Tarde, amateur de plans de ville en fausse perspective.

Ces œuvres ont-elles directement influencé Tarde ? Il y a des coïncidences de style et de date.

Dainville affirme même que la carte de Fayen « inspira, croyons-nous, la description du diocèse de Sarlat ». Mais, en fait, rien n’est moins sûr, ou du moins pour la première édition. Les deux cartes ont été publiées la même année. Si Tarde s’est directement inspiré de celle de Fayen, il a dû travailler dans un délai extrêmement court de quelques mois au plus, ce qui semble étonnant, surtout en tenant compte du délai de gravure. A moins que Tarde, amateur de mathématiques comme Fayen ait eu précédemment des relations avec « l’Archimède limousin » et ait été informé de son travail. Aucun élément à ce jour ne nous permet d’affirmer cette hypothèse ou de préciser cette relation.

Hormis cette influence par proximité, d’autres inspirations semblent beaucoup plus avérées, et de la plume même de Tarde.

Les voyages de Tarde en Italie

Jean Tarde semble avoir fait des études assez poussées hors de sa région natale - à Cahors et à la Sorbonne vraisemblablement - ce qui l’a amené assez tôt à voyager. Jusqu’en 1592, d’après des allusions dans ses récits de voyage, il semble avoir séjourné à Béziers et à Marseille, puis à Nîmes et Uzès et s’y être fait des relations. Pendant ces séjours et ces déplacements, il semble avoir beaucoup observé et s’être intéressé systématiquement aux richesses des régions traversées, démarche déjà assez proche du géographe.

A partir de 1593, il a la chance d’accompagner son évêque Louis de Salignac qui doit se rendre à Rome. Il entreprend donc un long voyage depuis Avignon jusqu’à la Cité éternelle.

Par allusions, Tarde nous dit avoir rencontré d’éminents savants. La relation de son second voyage en 1614 précise qu’alors il s’est lié avec l’un des plus éminents savants mathématiciens géomètres de l’époque : Christophorus Clavius de Bamberg, jésuite, excellent professeur, un des principaux artisans du calendrier et surnommé l’Euclide du XVIe siècle. Il est fort probable que Tarde a été initié ou influencé par ce maître.

L’Humanisme en Périgord

Sans expliquer directement l’essor de la cartographie en Périgord, l’essor de l’Humanisme en Périgord a offert à Tarde un contexte intellectuel très favorable. L’essor de l’imprimerie a démarré de manière très précoce à Périgueux début XVIe, et de grands noms de la littérature viennent de s’y affirmer. L’immense influence et autorité de Montaigne, retiré dans son château périgourdin, cadrent avec ses trente premières années. La Boétie rayonne sur le Sarladais et laisse un souvenir impérissable à l’époque où Tarde est encore enfant. Un évêque italien, proche de Catherine de Médicis, a été en charge du diocèse de Sarlat à partir de 1533 ; il a fait venir de Florence juristes, hommes de lettres, artistes et artisans. La ville entière vit à l’heure de la Renaissance. Son successeur, l’évêque Louis de Salignac de la Mothe-Fénelon de 1579 à 1598 personnage influent, perpétue également cette tradition humaniste. Dans cette synergie, la famille Tarde semble avoir été assez socialement bien placée à Sarlat. Le manoir des Tarde à la Roque-Gageac (8km de Sarlat) est d’ailleurs mitoyen avec le château épiscopal. Rien d’étonnant alors dans cette synergie intellectuelle et même religieuse.

Le contexte et les nécessités religieuses

L’année où Tarde réalise sa première carte est pourtant une année très difficile, nous sommes même encore en pleine tourmente. Tarde est né au début des troubles religieux en Périgord. A l’âge de six ans, il voit passer une puissante armée protestante qui saccage la région et investit sa petite ville de Laroque-Gageac. L’insécurité s’installe ; les troubles reprennent en 1574 avec la prise de Sarlat par les troupes protestantes de Geoffroy de Vivans, puis celle de Périgueux et le siège de Domme. En 1587, Sarlat se révolte et subit un nouveau siège des armées protestantes de Turenne ; le pays est très éprouvé. Enfin, en 1594, année même de la confection de la carte, a lieu la grande révolte des Croquants du Périgord, appauvris par ces guerres et pressurés d’impôts.

Tous ces événements ont, bien sûr, marqué notre Chanoine. Les exactions protestantes auxquelles il a assisté l’ont sans doute poussé dans sa foi et dans son militantisme catholique. Sa carte veut être sans doute un état des lieux après les troubles et un instrument pour la reconquête des âmes.

Nous sommes dans ce contexte de reprise en main, possible après la trêve, et conforme à l’esprit de Contre Réforme initié depuis le concile de Trente. Cette motivation est la raison officielle de la constitution de ces premières cartes.

Comme dans ses chroniques ou dans ses voyages, Tarde inventorie patiemment, collectionne les faits, les curiosités, les monuments. Ainsi les cartes qu’il a dressées sont assez riches d’enseignement.

Les différentes cartes, leur historique, leurs éditions

La carte du diocèse de Sarlat de 1594

La carte de Tarde a été réalisée en quelques mois seulement. Ce tour de force peut s’expliquer d’abord par la très bonne connaissance que Tarde a déjà du terrain, sa très grande capacité de travail, et ensuite par la superficie relativement réduite du diocèse (100 Km sur 60 Km) et sa disposition suivant les deux axes très structurants de la Vézère et de la Dordogne.

Il n’en subsiste que de très rares exemplaires dont un aux Archives Nationales. La gravure est appliquée, la mise en page sommaire avec, comme souvent à l’époque, des cartouches contenant d’assez longues notices. Cette disposition sommaire ainsi que son orientation vers le Sud (comme certaines cartes italiennes de Danti) lui donnent un caractère assez atypique. 

Le commanditaire de la carte est explicite d’après la dédicace « D. D. LUDOVICO DE SALIGNAC EPISCOPO SARLATI » et les armoiries de l’évêque et de la famille des Salignac.

Jean Tarde se présente aussi, avec ses titres, comme l’auteur qui a relevé et dessiné la carte (« Johannes Tarde, Vicarius generalis diocesum, visitans sic disposuit et dedicauit, anno 1594 »). Le compas marquant l’échelle de lieues (en convertissant, approximativement du 1/140 000e) semble être aussi un emblème ou une marque de fabrique de Tarde lui-même puisqu’il se retrouve à l’identique sur d’autres cartes.

Le grand cartouche comprend tout d’abord une délimitation précise du diocèse (ce qui est une redondance car ses limites sont dessinées en pointillé) mais qui peut s’entendre comme une sorte de définition historique et géographique.

Vient ensuite une énumération des subdivisions ecclésiastiques (7 archiprêtrés mentionnés par un symbole spécifique sur la carte figurée ci-contre). Quatre églises collégiales sont également énumérées mais n’ont pas de symbole spécifique sur la carte mis à part St Avit, sans doute parce qu’elles se trouvent à l’intérieur de petites villes. Tel est le cas aussi pour les abbayes ou Cadouin et St Amand qui ont alors le même symbole, s’il n’est pas inclus dans une ville comme Terrasson. Même remarque enfin pour les couvents mais celui de Fontgauffier a un symbole différent. Cette partie du cartouche est donc un guide pour une sorte de légende concernant toutes les figures ayant un double cercle, avec quelques précisions historiques comme l’allusion à trois couvents ruinés ou disparus.

Cette carte est donc essentiellement d’un registre religieux, même si nous verrons plus loin que nous pouvons en tirer d’autres enseignements.

La carte du diocèse de Sarlat de 1624

Cette carte, même si elle a aussi pour objet la description du diocèse de Sarlat, présente des différences notables. Son orientation est complètement retournée de 180° avec le Nord en haut de la feuille d’une manière beaucoup plus conventionnelle. Les symboles sont plus réduits et plus rationalisés. Les mentions religieuses disparaissent presque totalement. Le titre n’est plus en latin mais en français. La dédicace à l’évêque a disparue. On est donc passé a une carte beaucoup plus laïque.

Tous ces changements peuvent s’expliquer par le nouvel éditeur de la carte, dont le nom est mentionné en toutes lettres en bas à gauche : Jean Leclerc ainsi que son graveur M. Picart.

Jean Leclerc est, à l’origine, un libraire parisien réfugié à Tours qui collabora au « théatre françois de Bouguerau » pour ensuite lui racheter tous ses cuivres et éditer son propre atlas en 1620. Ayant besoin de nouvelles cartes, il repère celles qu’a dressées Tarde non seulement pour le Haut Périgord mais aussi pour le Quercy. Il publie sous une nouvelle forme et mise en page la carte du Quercy dressée par le Chanoine en 1606 pour le compte de l’évêque Popian en y faisant ajouter un plan de Cahors et, de la même manière, pour sa deuxième édition de l’atlas en1626, il publie la carte du diocèse de Sarlat et Haut Périgord à des fins commerciales et pour un public plus large. Ainsi il y a donc sécularisation et normalisation de la carte.

Mais quelle est la part de Tarde dans ce nouveau travail ?

La carte princeps de 1594 est beaucoup plus proche de la réalité que la carte éditée par Leclerc.

La collaboration de Tarde ne porterait donc que sur le plan de Sarlat le reste de la carte ayant été regravé un peu plus approximativement avec quelques ajouts toponymiques dans les régions limitrophes.

Les autres cartes de Tarde

La carte du Quercy

La carte du Quercy nous est utile à plusieurs titres. Elle montre que le Chanoine Tarde n’est pas attaché ni concentré sur une seule région et son espace d’investigation ne se limite pas au Périgord. Sa carte déborde également au Nord-ouest sur le diocèse qui nous intéresse.

Ensuite, elle montre, comme celle de Sarlat, mais d’une manière plus rapprochée, le passage entre une carte religieuse commanditée par l’évêque de Cahors Popian en 1606 à une carte séculière, destinée à figurer en 1619 dans l’atlas de Leclerc. Elle montre aussi au départ une carte orientée vers l’Est, puis sa rectification vers le Nord et l’adjonction pour la première fois d’un plan urbain en semi perspective.

La Potamographie

De la même manière, la très originale carte de la Garonne et de ses affluents, parue également dans l’atlas de Leclerc en 1628, nous montre une orientation intéressante et une vision plus large et partielle du Périgord que nous exploiterons par la suite. Elle nous montre aussi que Tarde a sans doute parcouru certaines de ces rivières. Certains auteurs évoquent une cinquième carte de Tarde, introuvable, relative au Bassin d’Arcachon, ce qui confirmerait un intérêt pour l’hydrographie, une utilisation des rivières pour se déplacer, surtout dans le sens Sarlat-Bordeaux et, chemin faisant, pour prendre des notes et cartographier.

Les copies et éditions successives

  • Les copies hollandaises

Les Hollandais ont dominé la cartographie et la publication d’atlas à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe. Bénéficiant d’une plus grande liberté d’entreprise et d’échanges, des acquis de la Compagnie des Indes fondée en 1602 et de l’expérience de savants éminents, ils ont largement diffusé et popularisé leurs recueils de cartes. Ainsi se sont constituées de véritables dynasties de cartographes muées en de vastes entreprises commerciales. Pour étoffer leurs atlas ils se sont assez vite intéressés aux quelques cartes françaises alors en circulation et ont noué des contacts solides avec des graveurs et des libraires établis en France. Ces derniers sont souvent des Flamands réfugiés en France suite aux persécutions religieuses sévissant dans les Pays-Bas espagnols. Rien d’étonnant alors à ce que la carte du diocèse de Sarlat, qui semble avoir joui d’une certaine notoriété, se retrouve incluse dans les grands atlas de l’époque. Les cartes hollandaises se reconnaissent du premier coup d’œil grâce aux éléments décoratifs qui y fleurissent.

Tout d’abord nous trouvons un « Diocoesis sarlatensis, delineabat Johannes Tarde canonicus ecclesiae Sarlati » imprimé par Henry Hondius à Amsterdam, diffusé en France par Melchior Tavernier.

En observant bien la carte, surtout le tracé des rivières, nous constatons d’une manière indubitable que le modèle est la première carte de 1594 et non celui de 1624 (ce qui est normal car l’écart est de moins d’un an pour cette dernière). Certaines améliorations sont notables quant à la réalisation : l’écriture est plus fine, le tracé des collines est plus conforme au réseau hydrographique (souci de réalisme) alors que sur la première carte de Tarde les cours d’eau traversaient tout bonnement les collines qui étaient simplement « plaquées » pour suggérer un relief assez accidenté. Mais dans le détail des toponymes, il y a une simplification. Les bourgades principales sont accentuées et rehaussées en couleur au détriment des villages ou lieux religieux qui sont réduits et se distinguent moins entre eux, ce qui démontre, bien sur, qu’il n’y a eu aucune vérification de terrain.

Cette carte va être rééditée dans les versions successives de l’Atlas, en particulier en 1630 dans une version française, puis par Jan Jannson, le gendre de Hondius, qui continue l’entreprise jusqu’au milieu du XVIIe s. A chaque édition, des couleurs sont rajoutées au pochoir et les contours sont rehaussés à la main.

Nous trouvons également de nombreuses versions d’une « Diocoesis Sarlatensis , vernacule le diocèse de Sarlat, Ioannes Tardo canonicus ecclesiae Sarlati delineabat » éditée  par Guillem Blaeu.

La maison Blaeu est à l’époque la concurrente des Hondius et s’en inspire fortement ; elle a été fondée par Willem Blaeu, un élève de Tycho Brahé qui publie son premier atlas, dont la carte fait partie, en 1630. Après sa mort en 1638, ses fils continuent l’entreprise avec différentes versions de son atlas jusqu’en 1663. L’atlas de Blaeu marque le point culminant de l’art cartographique hollandais avec une écriture délicate, des enluminures d’inspiration baroque et un coloriage sophistiqué. Ces différentes versions, qui ne varient que par les couleurs, ne nous apportent rien de plus que celles des Hondius/Jannson. La différence entre les « villes » soulignées en rouge et les villages est encore plus criante, certains détails sont simplifiés ou hypertrophiés comme la bastide de Molières qui est aussi grosse que Bergerac. Le fait de retrouver la carte du diocèse de Sarlat, un peu fossilisée, dans l’Atlas des Blaeu lui assure un côté classique, l’érige au rang de carte référence et lui amène une grande notoriété. Ainsi le diocèse de Sarlat a t’il été connu dans toute l’Europe !

Les techniques employées

Les méthodes de relevés

Le Chanoine Jean Tarde nous a laissé un document exceptionnel : un ouvrage édité pour la première fois en 1621 sur « L’usage du Quadrant à l’esguille aymantée », autrement dit l’usage de la boussole. Dans cet ouvrage à la fois théorique (première partie) et pratique (deuxième partie), abondamment illustré, l’auteur nous livre les instruments qu’il a fabriqués et utilisés et, indirectement les méthodes qu’il a employées pour tracer ses cartes. Tous les exemples qu’il donne se rapportent à des lieux du diocèse de Sarlat et du Périgord. On voit donc que ses méthodes ont été mise en œuvre à l’occasion de sa carte du diocèse de Sarlat et aussi de son plan de la ville. L’ouvrage en question est néanmoins édité à l’occasion de la réalisation de la carte du Quercy (1619) ou l’évêque Popian avait souhaité que les méthodes cartographiques soient exposées et expliquées comme le montre la dédicace de l’ouvrage.

Matériel utilisé :

Tarde décrit minutieusement la boussole qu’il a utilisée et mise au point lui même. Ce n’est pas le premier à en décrire les usages en cartographie ; des expériences antérieures ont déjà été consignées dans des ouvrages italiens. La boussole de Tarde est apparemment de grande dimension.

Tarde évoque aussi une Tablette, sur laquelle est fixée la boussole.

Cette tablette présente aussi un cercle gradué en 360 degrés ainsi que des lignes formant les points cardinaux, comme une sorte de rose des vents. Elle est destinée à calculer des déclinaisons.

Cette tablette est fixée sur des pieds comme une sorte de table. Tarde en décrit les support d’une manière très détaillée encore une fois en y joignant cet autre croquis.

Tarde, ainsi équipé, peut calculer en positionnant bien la tablette vers le Nord des déclinaisons par un procédé décrit d’une manière un peu fastidieuse (Il réussit à calculer, entre autres, 7 degrés 55 minutes de longitude pour Sarlat).

Cet équipement lui sert aussi surtout à calculer des angles.

Choix de l’emplacement pour les mesures

Dans plusieurs exercices, Tarde insiste sur le choix d’un lieu approprié pour réaliser des relevés.

Fait très surprenant, nous avons retrouvé un sommet de colline nommé « Pech de Tarde » sur la commune de Vezac à quelques kilomètres du manoir du Chanoine. Cet endroit accessible par un ancien chemin correspond aux critères énoncés. Il est très probable que Tarde y ait effectué ses mesures et la mémoire populaire, suffisamment impressionnée, en aurait ainsi gardé la trace...

Relevés

Le meilleur exemple qu’il donne s’effectue autour de la ville de Sarlat pour les villages alentour et pour lesquels il joint un croquis explicatif avec les angles et les distances en lieues.  Enfin, une fois relevés tous les points qui l’intéressent, Tarde change de place, relève de nouveaux points et procède alors par triangulation pour les faire concorder.

Dans un autre exercice Tarde procède de même pour les remparts et tours d’une ville, conformément aux plans de Cahors qu’il vient d’effectuer.

Dessin

A plusieurs reprises dans son opuscule, Tarde nous décrit le dessin d’une petite carte locale.

Ce procédé est donc très méthodique et, comme nous le verrons, plutôt efficace. Il ne semble pas avoir été uniquement l’apanage de Tarde à l’époque ; mais son grand mérite est de l’avoir décrit, ce qui est exceptionnel.

Les éléments figurés

La carte du diocèse de Sarlat est clairement ecclésiastique, comme il a été démontré, de part son origine, ses commanditaires et ce qu’elle montre au premier abord. Ainsi la plupart des lieux-dits représentent des paroisses. D’autres symboles, conformément à la notice écrite, font figurer les archiprêtrés, églises collégiales, abbayes et couvents.

Mais en y regardant bien, d’autres éléments fort intéressants transparaissent :

  • L’Hydrographie

Non seulement la Dordogne et la Vézère sont deux rivières qui structurent la carte et qui délimitent le diocèse, mais elles attirent tout de suite le regard tellement elles y sont épaissies et accentuées de nombreux traits. Cette hypertrophie, qui se retrouve beaucoup moins sur les copies, suggère l’importance de ces cours d’eau.

Ce sont des obstacles presque infranchissables. Ce sont aussi des artères navigables et très utilisées à l’époque par de nombreuses « gabares ». Tarde est particulièrement attentif aux rivières, sa potamographie le prouve, et nous savons qu’il a dû se rendre plusieurs fois à Bordeaux par cette voie navigable.

Tarde prend également soin de mentionner les ponts. Ils sont assez rares et d’une grande importance. Nous en trouvons à Terrasson et Montignac sur la Vézère, un seul sur la Dordogne à Bergerac ! Il y en a aussi deux à Eymet sur le Dropt et deux sur le Céou à Daglan et Bouzic. Les autres ruisseaux étant aisément franchissables.

Ces petits ruisseaux ont souvent un tracé en « baïonnettes » ce qui tendrait à montrer que Tarde ne les a pas suivi mais en a juste pris l’axe directionnel.

Tarde mentionne également quelques particularités hydrographiques qu’il connaissait ou qu’il a rencontrées en route, sans souci d’exhaustivité, comme les sources de la Beune, et dont deux servent à marquer des limites comme le lac de la Moline à Groléjac (lac de retenue datant du Moyen âge) et la fontaine des Trois évêques à Lavaur.

  • Les châteaux

Hormis les symboles ecclésiastiques déjà repérés sur la carte princeps, d’autres présentent des formes différentes et très variées. Dans un premier temps, on pourrait dire que cette carte n’est pas du tout séculière et historique mais l’emplacement respectif de chacun de ces symboles montre qu’ils correspondent à chaque fois à un château. Ainsi une vingtaine de châteaux sont mentionnés.

Ils s’égrènent quasiment tout le long des vallées. Mais leur nombre est, là aussi, loin d’être exhaustif. D’importantes forteresses semblent manquer à l’appel comme Beynac. Il ne s’agit certainement pas d’une ignorance ; Tarde a sans doute voulu représenter les châteaux isolés, non inclus dans un village ou une ville fortifiée. Il semble même privilégier des châteaux que nous savons marqués par la Renaissance (Losse, les Milandes etc…) donc habités et d’une certaine importance à l’époque, pour oublier ceux qui sont abandonnés ou trop moyenâgeux (Comarque, Badefols etc…)

Le dessin très peu codifié de ces châteaux est peut-être une fantaisie du chanoine ou du graveur car il ne semble pas correspondre à la véritable silhouette, ce qui pourrait être le cas en revanche pour les villes.

         Les villes

Si l’on excepte les éditions postérieures, la première carte de Tarde nous présente 21 villes enceintes de remparts. Deux sont indéniablement plus grandes que les autres : Sarlat et Bergerac ; d’autres sont plus petites comme Domme, Byron, St Cyprien ou Couze. Tarde nous révèle donc une sorte de hiérarchie urbaine assez bien répartie dans l’espace du diocèse.

Mais la différence ne se fait pas que sur la taille de ces villes fortifiées, elle se fait aussi sur leur aspect. Là, il ne semble pas s’agir simplement d’une fantaisie du dessinateur, certains détails paraissent plutôt spécifiques à chacune d’entre elles.

Nous n’avons pas affaire bien sûr à de véritables chorographies ou « ichnographies » comme Tarde les appelle, mais il y a suffisamment de caractéristiques propres pour avoir une idée de la ville, sa silhouette. Toutes les villes ne sont pas montrées, seules les plus intéressantes ont été traitées. Ces silhouettes se perdent sur les copies du XVIIe s pour devenir complètement stéréotypées sur la carte de Blaeu. Cette carte de 1594 est pour toutes ces raisons, assez unique et vraiment d’un grand intérêt.

Omissions et anomalies

  • · Le poids de l’Histoire

La carte a été conçue à une époque très troublée et l’année même des premières grandes révoltes paysannes des Croquants en Périgord. Bien sûr, la carte n’en porte aucune trace. Très peu de traces également des guerres de religion qui ont ravagé le pays depuis les années 1560. Nous sommes en plein dans ce que certains auteurs ont appelé « l’un des boulevards de la Réforme » région stratégique avec, çà et là, d’importants foyers réformés dont Bergerac, qui devient une place de sûreté. Tout ceci ne transparaît pas non plus. Ce n’était pas le but de la carte, ou plutôt il est en négatif ; c’est à dire montrer un diocèse en dehors de tout désordre, comme il doit être, pacifié et dans le cadre de la religion catholique. Néanmoins Tarde a écrit que lorsqu’il dressait sa carte, il était accompagné par un greffier et un promoteur, le but était certainement de faire un état des lieux, de dresser un bilan en vue de « retirer les débris de la religion et réparer les bresches causées par les malheurs passés ». Et le bilan est amer ; dans ses chroniques il écrit lui même :

« Nous trouvasmes les églizes de la terre de Lauzun, Biron et Beynac en leur entier, et des autres jusqu’à dix ou douze pour le plus. Mais pour tout le reste elles estoient ou razées jusqu’au fondement ou à demi ruinées ou sans autelz ni portes, et remplies de ronces et buissons… »

A part dans la notice de sa carte où il fait part seulement de quelques édifices ruinés, il n’y a pas de mention ou de symboles d’édifices en ruine comme on en trouvera sur les cartes de Cassini ou Belleyme.

Pas de mention non plus de sites archéologiques qui pourtant étaient une des grandes passions de Tarde.

 

Rémy DURRENS

 

Nota : ce compte rendu est très succinct pour des raisons de transmission sur notre site internet.

La version complète qui nous a été transmise par Rémy Durrens en sera publiée dans notre prochain Compte Rendu d’Activités, de juin 2017.

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